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Dominique Lin

Dominique Lin

Écrivain - chroniqueur - Ateliers d'écriture


La valise

Publié par Dominique Lin sur 15 Octobre 2013, 15:48pm

Catégories : #atelier d'écriture

« Je fais ma valise » peut être un départ volontaire comme une fuite, un événement heureux comme une catastrophe, une réalité comme un rêve impossible…

La valise

14 juin 2013

 

Roissy Charles de Gaulle. Le terminal 3 grouille de monde.

Tous ces gens qui ont déjà vu d’autres horizons, et moi je suis derrière eux à ramasser tout ce qu’ils laissent tomber. Je les observe et les envie, oui, j’envie ce qu’ils sont et où ils vont.

Moi aussi, j’aimerais partir à l’aventure, découvrir autre chose que mon 15e étage à Passy. Vous me direz, habiter un immeuble de 15 étages c’est un peu prendre l’avion: ça sent la nourriture exotique dans les couloirs, ça parle différentes langues et ça porte des vêtements d’ailleurs. Mais moi, j’aimerais prendre mon café au Starbucks et acheter ces revues qui exhibent des fringues hors de prix pour passer le temps en attendant mon vol.

Les revues, je les récupère quand les voyageurs les laissent traîner ; j’ai même trouvé un sac provenant du duty-free avec cigarette et parfum, mais bon…

"Les allées doivent être rutilantes !", a dit le patron alors, je ne laisse rien traîner ; je ramasse tout avec mon balai taille XXL : je suis payée pour ça.

Quand j’étais petite, ma mère m’a emmenée avec elle pour se faire tirer les cartes. Avant de partir, la diseuse de bonne aventure a pris ma main et m’a certifié que j’aurai de la chance et que j’irai loin. Depuis ce jour, je tiens toujours prêt un baluchon, ce qui a toujours fait sourire ma mère qui n’est plus de ce monde et qui était ma seule famille. Le baluchon, où tous les soirs je range et dérange méthodiquement tous les trésors dont j’ai absolument besoin en cas de départ précipité, a désormais été remplacé par une valise installée dans le coffre de ma voiture, valise que je contrôle tous les soirs en rentrant du travail et j’en modifie le contenu au gré de mes humeurs et des saisons, au cas où la chance, du jour au lendemain, aurait décidé de m’emmener loin.

Quelques années ont passé, les avions ont atterri et décollés sans moi. La taille de ma valise et ce que je mettais à l’intérieur a changé ; il faut bien s’adapter. En attendant, même si je désespère un peu, je rêve, je suis à l’affût de la providence, et ces préparatifs journaliers me font un bien fou.

 

Et cette fille-là devant moi, dont je vois le reflet dans le miroir des toilettes ; à peine polie quand elle m’est passée devant, comme si j’étais invisible, criant dans son téléphone portable qu’elle ne veut pas partir, que sa vie est ici et qu’elle ne veut pas aller travailler pour cette famille qu’elle ne connaît même pas à l’autre bout du monde, qu’elle est majeure et qu’elle fera ce que bon lui semble !

Ce pourrait être moi, on se ressemble assez, elle est juste mieux arrangée, mais c’est facile avec de l’argent. Elle ne m’a pas vue dans le réduit à balais quand je suis arrivée derrière elle. Je lui ai asséné un coup sur la tête. Elle s’est évanouie et ne plus l’entendre m’a fait un bien fou. Je l’ai vite tirée dans le local technique, je l’ai installée comme si elle s’était cognée en glissant sur des produits coulés sur le sol, j’ai échangé nos vêtements et lui ai accroché mon badge. Ses habits, d’une belle confection, me vont comme un gant. Elle en boniche et moi apprêtée, c’est parfait. Mon cœur n’a jamais battu aussi vite.

Rapidement, je tire la porte du local, mais pas à clef, ça paraîtrait étrange. Je récupère son sac, son téléphone et me plante devant le miroir pour une dernière retouche. Je coiffe mes cheveux en chignon et me maquille avec ce que je trouve dans le sac à côté de la carte d’embarquement. Il faut que je sache rapidement quelle est sa destination et à quelle heure elle part. Quelqu’un entre pour aller aux toilettes. Mon cœur s’emballe. Craignant de passer pour une personne à problèmes, j’essaye de me concentrer sur ma carte de bord qui indique la salle d’embarquement… dans 10 minutes à peine !

Trop pressée et trop excitée pour un café au Starbucks, j’ai juste le temps d’acheter quelques magazines avec l’argent que je viens d’acquérir, d’arriver à la bonne porte et de m’habituer à ma nouvelle identité pour un départ direction Charles Kingsford Smith Sydney Airport.

Il faut que je me calme jusqu’à ce que je pose mon élégante tenue sur le siège de l’Airbus. Pourvu qu’on ne me découvre pas de suite.

Quand je pense que je prépare ma valise depuis des années et que je pars sans elle. Je n’aurai qu’à récupérer celle qui m’attend à l’arrivée, de toute façon elle n’avait pas envie de s’en servir. Si quelqu’un me contacte, je répondrai par mail ou sms et mettrai de la distance.

En arrivant à Sydney, je me connecte à une borne internet et fais des recherches sur Paris. Je ne vois qu’un petit encart dans un journal, en fin de colonne, qui indique un fait divers : une jeune employée de l’aéroport de Roissy découverte morte dans un local technique. La mort aurait été causée par un mauvais coup lors d’une chute sur le sol glissant... On aurait retrouvé une valise et un passeport à son nom dans son véhicule sur le parking. Prévoyait-elle de partir ? En tout cas le mauvais sort aura voulu que ce fût son dernier voyage. On ne lui connaît aucune attache et le corps de la défunte n’a pas été encore été réclamé.

Un jour, une gitane a pris ma main et m’a dit que j’aurai de la chance et que j’irai loin…

Roze

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