L'archipel d'une autre vie, Andreï Makine, éd. du Seuil

Publié par Dominique Lin sur 7 Octobre 2016, 16:49pm

Ce livre commence sans qu’on y prenne garde. Est-ce un roman d'aventure exotique ou un conte historique ? Le narrateur, un jeune homme de 14 ans, se souvient d’une rencontre qui a marqué sa vie. Orphelin, il est envoyé à Tougour, perdue au bord de la mer d’Okhotsk, en Extrême-Orient russe. Il s’enfonce dans la forêt, tentant de suivre Pavel, un nouvel arrivant, mais c’est ce dernier qui le surprend.
Le virage du roman se passe quand commence le récit de Pavel, dans les années 1950, alors qu’il s’était fait enrôler dans l’armée soviétique. Un prisonnier venait de s’échapper d’un camp, fait inadmissible, car l’armée est sur les dents, la menace nucléaire rôdait, la sécurité était de rigueur.
Une patrouille est envoyée à la poursuite de cet évadé : Pavel, Ratinsky, Boutov, Vassine, Louskass et le chien Almaz. Qui est donc cet évadé ? Personne ne le sait, raison de plus pour ne pas faillir à la mission.
Commence alors une traque en milieu hostile, la forêt, le grand froid, la neige, les traces à ne pas perdre, les balles à ne pas gâcher ni à recevoir.
Les soldats commencent leur poursuite en toute confiance; à cinq contre un, ils pensent partir en balade, mais celle-ci tourne au fiasco, autant militaire qu’humain. Nous sommes dans les rapports de force face au pouvoir central où la hiérarchie est implacable, où chacun guette une once de pouvoir, quitte à prendre celui qui est au-dessus de lui. Plus qu’une traque, c’est un jeu du chat et de la souris impitoyable, chacun des deux camps passant du rôle du prédateur à celui de la proie.
C’est l’élimination un par un des suiveurs traqueurs, jusqu’à ce qu’il ne reste que Pavel, seul face au fuyard dont il découvre l’identité et, ô surprise, n’est pas du tout qui il aurait imaginé.
Vient alors une autre phase, dont l’humanité naît de l’environnement très dur dans lequel les deux rescapés avancent et de la personnalité de chacun.
La forêt, personnage important de ce roman, est aussi vaste et puissante qu'un océan.

Une histoire qu’on n’a pas envie de lâcher et qu’on quitte avec regret, car, au-delà de la situation complexe, il y a des choix individuels profonds, courageux.

Il y a aussi l’écriture, forte, riche, enlevée, vivante. Andreï Makine nous embarque dans cette forêt aux nuits glaciales, on se réveille avec Pavel et les autres quand le gel paralyse tout, et que le corps doit repartir pour une journée dont personne ne connaît l’issue. Une immersion totale dans la nature et les mots.

L'archipel d'une autre vie, Andreï Makine, éd. du Seuil
ISBN : 2021329178
Éditeur : Editions du Seuil (2016)

Résumé de l’éditeur :
Aux confins de l’Extrême-Orient russe, dans le souffle du Pacifique, s’étendent des terres qui paraissent échapper à l’Histoire…
Qui est donc ce criminel aux multiples visages, que Pavel Gartsev et ses compagnons doivent capturer à travers l’immensité de la taïga ?
C’est l’aventure de cette longue chasse à l’homme qui nous est contée dans ce puissant roman d’exploration. C’est aussi un dialogue hors du commun, presque hors du monde, entre le soldat épuisé et la proie mystérieuse qu’il poursuit. Lorsque Pavel connaîtra la véritable identité du fugitif, sa vie en sera bouleversée.
La chasse prend une dimension exaltante, tandis qu’à l’horizon émerge l’archipel des Chantars : là où une « autre vie » devient possible, dans la fragile éternité de l’amour.
Andreï Makine, né en Sibérie, a publié une douzaine de romans traduits en plus de quarante langues, parmi lesquels Le Testament français (prix Goncourt et prix Médicis 1995), La Musique d’une vie (prix RTL-Lire 2001), et plus récemment Une femme aimée. Il a été élu à l’Académie française en 2016.

Chronique précédente : Femmes en leurs jardins, roman de Denise Déjean, chez Elan Sud