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Dominique Lin

Dominique Lin

Écrivain - chroniqueur - Ateliers d'écriture


Silencieuse, de Michèle Gazier, éd. Le Seuil - chronique

Publié par Dominique Lin sur 26 Avril 2017, 19:01pm

Catégories : #Chroniques livres

La première impression, lorsqu’on découvre les premières pages de Silencieuse, de Michèle Gazier, c’est que l’auteur sait écrire. Cela peut paraître stupide comme réflexion, mais je me la suis faite, et ce n’est pas toujours le cas. Certains auteurs savent raconter des histoires, mais pas les écrire dans le sens stylistique du terme. Et style ne veut pas dire sophistication inutile.

Pour le sujet, il est question, au départ de ce roman, de choses simples.

Nous sommes dans un village du sud de la France, un Saint-Julien-des-sources pas si imaginaire que cela… dans lequel nous allons faire connaissance avec six personnages. Pour un roman, c'est un bon chiffre, inutile de se perdre dans des personnages secondaires.

En premier, deux étrangers. Hans Glawe, peintre et sculpteur allemand, célèbre dans son pays, mais au village, les gens s'en foutent un peu. En plus, ils ne comprennent rien à ce qu'il fait, surtout pas ces assemblages et sculptures qu'il dissémine dans son jardinet.

Il y a aussi Louis, dit le Blondin, dont on ne sait pas grand-chose, sauf qu’il n’est pas d’ici, un peu renfermé, donc bizarre…

Comme dans chaque village, il y a une vigie, c’est Claude Ribaute qui tient ce rôle, décalé de par le fait qu’il est du village, mais n’y a pas habité toute sa vie. Il est donc détaché de la manie des potins, dont les dames commères et les hommes piliers de comptoirs, qui lui collent une double étiquette, se repaissent à longueur de conversations oiseuses.
Claude doit écrire un livre sur l’œuvre de Hans et va régulièrement le visiter afin de recueillir ses impressions qu’il transcrira. Il croise souvent Blondin. Il est le trait d'union entre les cinq autres.

Il y a Annie, la caissière de la supérette, elle aussi un peu à l’écart, car elle cache sa relation avec Blondin qu’elle va rejoindre dans le plus grand secret de la nuit, en rasant les murs. Seul Claude, qui habite sur le chemin de la maison de Blondin, connaît cette relation.

Enfin, il y a Sofia, l’Italienne, belle-sœur d’Annie, qui débarque au village en compagnie de sa fille Valentina. Cette petite Valentina ne parle pas ou si peu, relationne avec ceux qu’elle choisit de son regard qui transperce, provoque l’effet miroir. Blondin et Claude auront le privilège de faire partie des élus de la gamine qui dérange, bouscule, révèle…

Tous les autres personnages du romans ne sont que des ombres sans nom, des rôles figurants, des rumeurs, à la limite du cliché. Juste des faire-valoir, des justificatifs de situations intermédiaires.

 

Nous allons suivre ces six personnages dans leurs allers et retours chez les uns et les autres, chacun avec sa fonction, son regard sur l’autre, sur le monde.

Celui de Hans est fort, dur, cassant. Il porte en lui toute la souffrance de son Allemagne natale, celle de la guerre qu’il n’a pas connue, mais dont il a hérité avec toute sa part de culpabilité et de violence que l’on retrouve dans ses œuvres.

Blondin, personne ne sait d’où il vient, car son accent, du nord de l’Europe, c’est vague, révèle son étrangeté qu’il cultive en restant à l’écart. Sa rudesse apparente est déjouée par Annie dont les caresses et la tendresse dont elle a besoin, sans aller se mettre en couple, semblent lui redonner de l’équilibre. Mais le secret reste entier, il ne se livre pas.

Sofia, la belle Italienne — j'y ai vu Sofia Loren, sous la direction de Vittorio De Sica, pleine de mystère caché derrière une beauté fatale —, est attirante, mais « on » ne l’approche pas, sauf si sa petite sauvageonne de fille fait un premier pas, tend une main, sourit d’un regard…

Ces personnages vont évoluer sous le regard des ombres du village qui semblent ne pas les apprécier, on redoute et rejette l’étranger, donc l’étrange. On cherche à le quantifier, qualifier, classifier, et dès qu’il échappe à ce tamis, il dérange… allez savoir pourquoi.

 

En milieu de roman, le texte bascule, le narrateur, omniprésent jusque là, se transforme en « Je », c'est Claude. La vigie devient pivot. Passage un peu perturbant, mais c’est bien mené. Et l’histoire prend un nouveau souffle, un nouveau rythme. La fin, surprenante à souhait, nous renvoie à nous-mêmes, sur des questions essentielles de la vie… la rédemption, le pardon… mais vous verrez bien.

J’ai vraiment apprécié le regard de l’auteur sur l’art, sur la création, le sens caché des choix créatifs des artistes. Il est question de l’intime, du geste conscient ou non du peintre ou du sculpteur qui révèle, à qui peut ou cherche à le comprendre, certaines fêlures, certains fantômes. Tout créateur en a, qu’il le sache ou non. Certains en parlent jusqu’à se répandre, d’autres se taisent et laissent au spectateur le loisir de savoir pour lui, de ressentir ce qu’il veut, en corrélation ou non avec le message de l’artiste… Comme le dit Michèle Gazier : « Tout créateur s’exprime dans son œuvre, le reste n’est que bavardage. »

Il y a surtout cette condition humaine, le regard sur l'autre, différent, par l'origine ou le comportement. Comme dans beaucoup de villages, on est d'ici seulement quand le nom de famille est gravé sur le monument aux morts… et encore, il ne faut pas en partir trop longtemps, juste pour aller faire des études ou la guerre. Troubler l'eau qui dort, c'est remuer la vase, faire remonter les secrets, et ce n'est jamais bon.

 

Un texte à découvrir, une auteure à rencontrer.

Vous pourrez en parler avec Michèle Gazier les 3 et 4 juin 2017 durant le festival de l’édition indépendante l’Antre des livres, à Orange, espace Daudet. Invitée spéciale, elle remettra le Prix première chance à l’écriture à Jean-Pascal Chabrillangeas pour son roman Deltas, à paraître chez Elan Sud, et elle participera à différentes tables rondes durant les 2 jours de Salon.

Voir les horaires ici : http://www.lantredeslivres.com/

Photo : © John Foley

 

Résumé de l’éditeur :

Saint-Julien-des-Sources, six cents habitants, son bistrot, sa supérette, ses potins. Deux étrangers installés à ses marges. L’un, Hans Glawe, peintre et sculpteur allemand célèbre dont l’œuvre hurle la violence de l’Histoire ; l’autre, Louis, dit le Blondin, aux allures de vieil hippie brûlé par la vie, et que la jeune caissière de la supérette rejoint en douce la nuit. De la fenêtre de son bureau où il écrit une étude sur Glawe, Claude Ribaute, sociologue à la retraite et dernier fils d’une famille du cru, observe sans s’y mêler le quotidien du village.
Et, rayon de soleil pâle dans la monotonie des jours, Valentina, une petite fille qui ne parle pas, arrive avec sa mère et bouscule à sa manière l’ordre établi. L’étrange silence de l’enfant fait écho aux violents silences du passé. Ici, le silence crie. Auteur de nombreux romans, dont la plupart sont publiés au Seuil, Michèle Gazier a longtemps tenu la chronique littéraire de Télérama. Elle a également aidé à la découverte de grands écrivains espagnols, en traduisant des auteurs tels que Manuel Vázquez Montalbán ou Juan Marsé.

Date de parution 30/03/2017
17 € TTC - 213 pages - EAN 9782021361124
Disponible en version numérique: E-Pub – 11.99 € TTC – EAN 9782021361131

 

Chronique précédente : La Femme à droite sur la photo, de Valentin Musso, ed. Le Seuil

Silencieuse, de Michèle Gazier, éd. Le Seuil - chronique
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