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Dominique Lin

Dominique Lin

Écrivain - chroniqueur - Ateliers d'écriture


Chronique : Une nuit sur l'île de monsieur Forbin, Fabien Hertier, éd. Élan Sud

Publié par Dominique Lin sur 1 Février 2021, 16:24pm

Catégories : #Chroniques livres

Le roman commence début 1942 dans un port au milieu du Pacifique pendant la Seconde Guerre mondiale, où une foule bigarrée, bruyante et multiculturelle s'agite. Monsieur Forbin, dans son costume blanc va embarquer pour rejoindre une île, celle où il a grandi pour la quitter en 1914, pour aller à la guerre, et surtout fuir l'emprise de son père Jules, décédé juste avant le deuxième grand conflit du siècle.
« Jules Forbin, banquier ruiné, grand bourgeois déchu, dans cette retraite imbécile, honteuse et dénuée de sens, au beau milieu du Pacifique bleu, où les aiguilles des boussoles tournent en rond… »
Il voyage à bord du Chumbera où il a affaire à des hommes d’équipage rustres parmi lesquels il doit se faire respecter.


« Alors, sans attendre, il se retourna.
Silencieusement la jungle dévalait jusqu’à lui.
Deux hauts volcans crevaient le ciel des tropiques, et se dessinaient avec une netteté étrange sur l’azur sans âge. »


Comme dans un tableau de Rousseau, nous découvrons alors au milieu d'une nature, faune et flore, luxuriante, la maison où il a grandi, où tout est resté en place, mais envahie par les araignées, les oiseaux, les souris et la poussière, et où, « depuis le suicide de son jeune frère, il avait gardé pour le maître de l’île une haine sourde, qu’il dissimulait du mieux qu’il pouvait. »

Il en est là de son exaltation pour ce lieu et de la remontée de ses souvenirs, quand un avion de chasse japonais survole l'île, suivi par un destroyer : « Il avait pour mission de déposer six hommes – un capitaine, un lieutenant, quatre soldats équipés d’une radio – sur cette île choisie par l’amirauté comme poste d’observation avancé. »

La nuit, cette nuit sur l'île de Monsieur Forbin, sera longue, une nuit de traque, d'observation, de combats pour la vie. Une nuit qui va mettre à rude épreuve tous les antagonistes, révélant leur personnalité, leur code de l'honneur et du combat, le respect pour l'ennemi, brave, opiniâtre, rusé…

Fabien Hertier en 2010

Ce qui ressort de ce roman, c'est l'écriture imagée, le style puissant, l'image forte de Fabien Hertier.
Quand, dans le ciel de cette fin de nuit où la lune disparaît pour laisser place au lever des constellations, que le combat des hommes est projeté dans celui des dieux, le livre prend une nouvelle dimension dans laquelle l'auteur prend toute liberté pour donner vie à son imagination et à sa grande connaissance des mythologies.

C'est aussi un clin d'œil à une famille de la noblesse provençale désormais éteinte.
Enrichis dans le commerce maritime méditerranéen, les Forbin faisaient partie des plus puissantes familles marchandes marseillaises. Ils ont illustré l'histoire de la Provence et du Comtat-Venaissin.

Un roman paru en 2013 qui garde toute sa force littéraire à découvrir sans modération.
Pour lire les premières pages, cliquez ici


Extraits :

« Forbin se sentit tout à coup très seul au milieu d’un océan sans bornes, qui semblait monter, plus que s’étendre, autour de l’île – comme un rempart qui rejetterait le monde habité hors des frontières du visible. L’océan se lançait à l’assaut du ciel, à l’horizon – où il n’y avait rien ! Que l’évidence du ciel sur les eaux, mystère originel, néant ! Dans cet immense dépouillement cosmique, dans l’hébétude de son âme, Forbin se dit qu’il devait nécessairement se produire quelque chose… »


« Il était seul comme une vigie dans sa hune, provisoirement hors de danger, coupé du sol et des hommes, et au-dessus de lui, tout autour de lui, parcourant la voûte, triomphant au zénith, chutant aux quatre cardinaux pour se baigner dans l’océan, s’agitait le plus incroyable bestiaire, le plus fantastique défilé de monstres lumineux qu’un homme eût pu imaginer dans ses rêves les plus fous. Des héros affrontaient les bêtes dans des paysages fabuleux ; le souvenir des noms appris autrefois dans les livres paraît ces luttes d’une aura plus lumineuse encore que celle blanche, jaune, cuivrée, bleue, rouge parfois, du feu d’artifice sidéral qui éclatait partout dans l’immensité silencieuse. Les dieux tiennent généralement la vérité au secret ; mais ce soir elle éclatait comme une évidence, avec une force telle qu’elle en faisait mal aux yeux. »

« C’était un drame aux dimensions de l’hémisphère austral : le scorpion faisait face à l’hydre, le dard levé, toutes les pattes ramenées vers l’avant pour mieux affronter le danger ; sans peur il défiait l’immense serpent qui déroulait ses anneaux sur presque un quart de l’horizon, au-dessus des eaux endormies…
Derrière le scorpion s’avançait le sagittaire, son arme à la main, sa tête baignant dans le fleuve d’argent de la Voie lactée comme dans la nitescence de ses héroïques pensées ; sans doute espérait-il, au terme d’une noble lutte, mériter la couronne australe qui scintillait si superbement près de lui… Au-dessus de l’hydre on voyait le centaure, buste dressé contre l’étrange symbole, le signe de Constantin cloué aux cieux pour l’éternité des suds qui n’ont pas d’histoire – victorieuse croix méridionale, victorieuse dans des déserts qui l’ignorent, déroutante et belle de son absurdité, sertie d’ombre pour mieux rayonner… »

 

Résumé de l'éditeur
Printemps 1942. Alors que la guerre du Pacifique vient de commencer, un homme en costume blanc s'embarque dans un port du Pacifique occidental pour rejoindre une île à laquelle il semble mystérieusement attaché.
Au cours d'une nuit pleine de légendes, il y affrontera d'inquiétants souvenirs et six observateurs japonais débarqués du ventre d'un vaisseau de fer.
110 pages, 12 €
EAN: 9782911137310

 

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